vendredi 8 avril 2022

Callot - Ambiguïtés et antinomies de l'histoire


 

CALLOT (Émile).

Ambiguïtés et antinomies de l'histoire et de sa philosophie.
Préface de Fernand Braudel.

Paris, Marcel Rivière et Cie, 1962.

 


In-8° (145 x 227 mm.) broché, 391 p., (collection « Bibliothèque Philosophique »), exemplaire en bon état.


Introduction :
   Depuis une vingtaine d'années nous assistons à un véritable engouement pour les études historiques, qui se manifeste dans notre production littéraire par la parution de deux sortes de travaux. Ce sont d'abord des œuvres proprement historiques, soit de grande érudition et de haute valeur scientifique, soit de vulgarisation agréable et souvent, quoi qu'on dise, assez honorables. Ce sont ensuite des réflexions sur l'histoire, conduites selon la double voie toujours vivace de la critique philosophique de l'esprit historique et de la philosophie de l'histoire. C'est de cette seconde sorte de travaux que nous nous occuperons ici. Leur nombre va chaque jour croissant, et malgré le désir qu'on a d'en connaître le plus possible, il n'est pas certain qu'il soit possible d'en faire un complet inventaire et une lecture sérieuse également soutenue.
   Mais ce qui frappe dans cette production, c'est sa complète incohérence. « On voudrait, disait H.-I. Marrou au VIe Congrès des Sociétés de philosophie (L'homme et l'histoire, p. 3), travailler à la mise en ordre d'une pensée anarchique dont le désordre peut compromettre la fécondité. La période que nous vivons est caractérisée par l'absence d'un principe unificateur, d'un idéal commun ; les idéologies les plus diverses se développent côte à côte. C'est précisément le cas pour l'histoire. » Sans doute doit-on se féliciter de voir autour de cette science autant d'intérêt se manifester de la part des philosophes et des historiens, et admirer la liberté et la variété des thèses tour à tour soutenues, combattues, reprises et rejetées. Mais si de la discussion, dit-on, jaillit la lumière, de celle-ci, semble-t-il, ne résultent que ténèbres et confusions. Les philosophes de métier mais historiens d'occasion, les historiens de profession mais philosophes par accident, qui se recontrent en ce champ clos des idées générales sur l'histoire, ne parlent pas le même langage, et c'est là une première difficulté. Hardiment, ce qu'on tenait pour les bases assurées de la certitude historique ou de la vérité philosophique, est successivement et massivement attaqué avec des armes inégales. Puis, dans l'ardeur du combat, dés formules sont lancées, qui semblent tout régler, mais laissent tout en suspens. Ainsi, a-t-on dit, le fait historique n'existe pas, il est pulvérisé ; alors, demande-t-on, quel est l'objet de l'histoire ? Ailleurs un historien s'attache à montrer qu'il y a des lois en histoire, mais que ce sont des lois très spéciales, particulières au temps et au lieu, individualisées, évanescentes, concernant des possibles, etc. ; peut-on alors parler encore de lois ? Et ainsi indéfiniment les questions de principe et même de définition sont remises en cause sans qu'on en tire un très grand profit. Dans un livre vraiment synthétique et clairvoyant H. Gouhier situe exactement le problème de l'histoire de la philosophie, ses conclusions peuvent être reprises, prolongées, la mise en équation du problème est magistrale, et il semble qu'on ne puisse s'y dérober. Huit ans plus tard une douzaine de philosophes reposent la question pour leur compte et, indépendamment du fait que ces douze monologues ne tendent à aucune synthèse, l'ouvrage d'H. Gouhier n'est même pas cité et visiblement n'a joué aucun rôle dans ces douze méditations divergentes. Nous pourrions multiplier les cas à l'infini, et mettre un exemple et une œuvre en face de chacun d'eux. Mais en ce lieu et sous cette forme ce serait ouvrir une polémique par trop arbitraire, et nous aurons l'occasion au cours de ce livre de retrouver certains d'entre eux.
   Dans cette situation, objectera-t-on, pourquoi ajouter à cette masse proliférante un ouvrage de plus et augmenter la confusion générale ? Ne serait-il pas plus prudent de laisser peu à peu se décanter toutes ces idées et s'éliminer d'elles-mêmes une bonne part d'entre elles dans les progrès et une meilleure conscience de la science historique ? Ce serait sans doute la sagesse même, si notre dessein n'était que d'ajouter à la discussion, de prendre partie pour une thèse ou pour une autre, de procéder à des critiques et, somme toute, de prolonger les querelles idéologiques. Mais notre but est différent. Nous voulons plus modestement essayer de voir clair dans quelques questions si diversement agitées, voir clair en définissant des concepts, eu classant des points de vue, en confrontant des opinions, et surtout en comparant le tout au « sens historique » profond et solide qui continue à animer l'histoire et à inspirer, au-delà de ces réflexions à son propos, ceux qui persistent à écrire une histoire toujours plus précise, objective, documentée, et aussi sensible aux grands courants, aux causes cachées, aux lents mouvements des na-tions et des âmes des peuples, en un mot réellement philosophique. C'est toujours en référence à ces travaux, qui représentent la vraie histoire, la seule science du passé humain, que nous avons pensé les problèmes agités par la philosophie critique et dogmatique de l'histoire. C'est, en quelque sorte, la défense de cette histoire que nous voulons prendre contre les considérations hautement spéculatives dont on l'accable, et qui finissent par la défigurer totalement. Une véritable philosophie scientifique, c'est-à-dire une épistémologie et une méthodologie sérieuse, n'est pas une métaphysique à propos d'une science ; c'est une réflexion sur cette science telle qu'elle est donnée comme science, et qui cherche à découvrir les raisons et les limites de sa confiance en elle-même, de sa croyance en la vérité. Selon les enseignements de Brunschvicg, Goblot, Lalande et de tous ceux qui ont fait sur les sciences de la nature un travail sérieux, nous pensons que c'est sur l'histoire et dans l'histoire telle qu'elle s'offre à nous dans ses plus parfaites réalisations présentes, qu'il faut découvrir ce qui légitime son titre de science et garantit sa valeur. On n'empêchera jamais le métaphysicien de s'occuper des événements du passé, objets de l'histoire, mais on peut lui demander de respecter ce que cette science comporte de vérité sur son propre plan de connaissance empirico-rationnelle, quitte à n'en faire aucun usage et à la dédaigner comme inférieure. Du moins le métaphysicien le fera-t-il en vertu de ses propres principes. Mais ce qu'on comprend mal, c'est qu'à propos de l'histoire tant d'auteurs se découvrent métaphysiciens, et ne prennent l'histoire comme tremplin de leur pensée que pour mieux se retourner contre elle et l'écraser sous des vues supérieures, qui demeurent en elles-mêmes bien fragiles.
   Laissant de côté ces superstructures idéologiques plus ou moins bien équilibrées, nous en revenons platement à l'histoire qui se fait et qui est là, dans ces œuvres de G. de Reynold, de J. Pirenne, de R. Grousset, de F. Braudel, de M. Grenard, dans ces vastes collections historiques, dans celle enfin que défend et illustre la haute mémoire de Lucien Febvre, et nous nous demandons simplement comment cela est possible : quelles méthodes, quels principes sont inclus dans ces écrits, qui pour nous sont l'histoire ? Tout ne peut être dit, quelques points seuls seront retenus, mais qui, par l'esprit de respect à l'égard de la tâche et du contenu historique dans lequel ils seront traités, suffiront. Par exemple, ce seront les problèmes de la structuration, de la périodisation, du système des sciences historiques, de leur degré de certitude, de leur utilisation pour la prévision de l'avenir proche et lointain. D'ailleurs les manières d'aborder de telles études seront préalablement classées dans un éclaircissement du vaste programme de philosophie de l'histoire, des ambiguïtés et des antinomies qu'il enferme. Ensuite une application en sera faite à deux histoires spécialisées, celle des sciences et celle des doctrines. Si la première ne soulève guère d'opposition, la seconde par contre est un terrain brûlant par les polémiques qu'elle soulève, et un terrain contesté par la rencontre de deux sortes d'esprits. Si d'une part les philosophes s'interrogent sur leur histoire, de l'autre les historiens hésitent à s'y intéresser. Il en résulte une situation des plus confuses et assez difficile à débrouiller. Mais l'esprit de l'histoire finit sans doute par imposer ses droits. En dernière instance, puisqu'une métaphysique de l'histoire est toujours renaissante, nous la laisserons s'exprimer dans un de ses sytèmes récents, et le lecteur conclure sur une telle entreprise.
   Tel est le but et tel est le plan de ce livre que nous avons voulu le moins dogmatique possible, éloigné de toute polémique et au plus proche de son objet, qui est, non pas la métaphysique, mais tout d'abord l'histoire et une réflexion sur l'histoire. C'est ce que nous demandons au lecteur de ne pas oublier dans son jugement final, que nous souhaiterions être celui-ci : les problèmes que pose l'histoire sont résolus par sa propre édification, il suffit d'en prendre conscience et de donner à ces solutions une consistance logique. Alors se dissipent bien des ambiguïtés et se résolvent bien des antinomies.
   Au reste, nous ne nous faisons pas d'illusion. Si ambiguïtés et antinomies il y a, elles sont bien plus pour ceux qui réfléchissent sur l'histoire que pour les historiens eux-mêmes, qui continuent comme par-devant leur labeur quotidien. Consolons-nous en lisant ces lignes d'un historien, théoricien un peu désabusé : « Quelle importance pratique peuvent avoir pour un historien ces réflexions sur le rôle des lois et du hasard en histoire ? Nous ne croyons pas que des théories puissent facilement changer la manière d'étudier et d'écrire l'histoire. Espérons tout de même que nos pensées ne seront pas inutiles aux historiens. Et si cette étude sur les méthodes était même dénuée de toute conséquence utilitaire, nous croyons que ce sujet valait la peine d'être traité en soi. La science historique, en tant que sujet d'étude, présente autant d'intérêt que n'importe quel autre événement de son répertoire. » (A. Choulgine, L'histoire et ta vie, p. 206).

15 euros (code de commande : 00061).

 

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